Il aurait pu être un rêve. Il aurait dû être une fierté. Le septième parc Disney, l’un des projets les plus ambitieux jamais lancés par la firme aux grandes oreilles, verra le jour à Abu Dhabi. « A Whole New World » d’immersions inédites, de bâtiments monumentaux, de zones luxuriantes au cœur du désert, un concentré d’innovation technologiques et de storytelling. Disney, encore une fois, semble vouloir repousser les limites de l’imaginaire.
Mais cette fois… quelque chose cloche. Quelque chose brûle. Quelque chose pue l’hypocrisie.
Officiellement, il s’agira d’un projet ambitieux, flamboyant, magique, en partenariat avec Miral, la société à la manœuvre derrière l’île de Yas, déjà transformée en gigantesque vitrine du divertissement. Officieusement, c’est un nouvel épisode de la grande trahison des valeurs humanistes et universalistes que Walt Disney lui-même aurait sans doute eu du mal à avaler. L’argent, oui… mais quid des valeurs ?
Ce n’est pas un conte de fées. C’est une gifle. Un coup de poignard dans le cœur des fans qui ont cru en des valeurs. Un pacte scellé non plus avec la magie, mais avec l’argent. L’argent roi.
Un parc construit sur du sable… et des silences
Abu Dhabi, terre d’extravagance et de contradictions. Le choix stratégique est clair : attirer les touristes du Moyen-Orient, rentabiliser des parcs concurrents actuellement déserts, et s’offrir un terrain de jeu climatisé géant, à coups de milliards. Un parc mi-indoor, mi-outdoor si on en croit les concept arts : de gigantesques bâtiments interconnectés par des zones végétalisées, soigneusement arrosées en plein désert.
Mais au-delà du béton et des palmiers plantés, Disney enterre ici quelque chose de bien plus précieux: sa conscience.
Derrière chaque brique, des ouvriers invisibles
On ne peut pas parler d’Abu Dhabi sans parler des ouvriers migrants. Ceux venus du Bangladesh, du Népal, d’Inde.. par milliers. Des ouvriers parfois sans droits, souvent sans voix. Ceux qui, pour construire les stades du Qatar, ont laissé leur santé, leur liberté, parfois leur vie. On se souvient des scandales : passeports confisqués, logements indignes, salaires impayés. Et aujourd’hui, qui construira ce temple du divertissement sous 45 degrés ? Avec quels droits ? Pour quelle reconnaissance ?
Et puis, le parc prendra vie. On prendra un selfie entre deux palmiers parfaitement alignés, arrosés par la sueur d’ouvriers qui, eux, ne franchiront jamais les portes de ce paradis climatisé. Un vrai conte de fées bâti sur des cauchemars bien réels.
L’écologie d’apparat : le greenwashing comme pompon sur la Garonne
Paradis climatisé. Ce qui nous amène donc ici. À cette absurdité écologique. Des forêts sous cloche dans un désert, à coups de millions de litres d’eau traitée et de climatisation à plein régime ? On nous fera croire à un havre vert. On plantera des palmiers aussi rapidement que Numérobis, on parlera de « technologies durables », on mettra quelques panneaux solaires, on fera circuler l’eau dans des boucles fermées, on apposera un vernis vert à grand renfort de storytelling. Mais ce sera surtout un mirage bien marketé. Une oasis de façade pour apaiser les consciences, pendant que le désert recule, que la planète chauffe, et que l’empreinte carbone des visiteurs explose.
Disney ne fait pas ici un pas vers le futur. Il fait une pirouette grotesque dans le passé : celui du luxe tapageur et du tourisme bling-bling made in influenceurs.
Et les droits ? Enterrés sous le tapis rouge
À Abu Dhabi, être une femme, c’est vivre sous tutelle. Être homosexuel, c’est risquer la prison. Être journaliste critique, c’est prendre un aller simple vers le silence. L’amour sera célébré en parade, mais puni en coulisse. Et Disney s’installe là. Tranquillement. En couronnant l’annonce d’un feu d’artifice et d’un spectacle de drones grandiose.
On pourrait détailler bien plus longtemps les atteintes aux droits des femmes, des personnes LGBTQ+, des minorités ou bien encore de la liberté d’expression. Les rapports d’ONG, les témoignages, les condamnations sont là, noir sur blanc, pour étayer chaque ligne. Mais cet édito n’a pas vocation à devenir un dossier juridique. Cet édito, n’est qu’un cri du cœur, qui souhaite rappeler une chose : un monde magique tel Disney ne peut pas se construire sur des injustices bien réelles.
Comment continuer à faire pleurer les familles sur la chanson Libérée, Délivrée quand, en dehors des grilles du parc, les libertés sont gelées ? Mulan aura-t-elle le droit d’y chanter “comme un homme” ? Comment prétendre parler d’égalité, de respect, de vivre-ensemble, quand on s’associe à un pays qui piétine quotidiennement ces valeurs ?
Disney n’ignore pas. Il CHOISIT d’ignorer.
Les valeurs ont un prix. Et Mickey les a vendues pour Disney Abu Dhabi.
Ce parc sera sans aucun doute beau, novateur, unique. Il sera sûrement spectaculaire. Mais il sera surtout construit sur des contradictions insupportables. Car on ne peut pas célébrer la princesse rebelle, l’amour libre, le droit à la différence… et pactiser avec un régime autoritaire.
Ce n’est pas juste une erreur stratégique. C’est une fracture morale. Une trahison à grande échelle.
Et nous, fans de Disney, amoureux de ses histoires, de sa magie, de ses promesses, on regarde tout ça avec un nœud au ventre. Parce que ce n’est pas ça, Disney. Parce que ça ne devrait jamais l’être. Parce qu’un monde enchanté ne se construit pas en sacrifiant les droits fondamentaux.
Un parc Disney à Abu Dhabi, c’est peut-être une prouesse technologique et architecturale. Mais c’est surtout un crève-cœur. Une claque. Un rappel brutal que parfois, les rêves sont à vendre. Et bordel ! Mickey a accepté le chèque…